La double importance pour l’artillerie d’un nouvel avion de combat.

Quiconque pense à la politique de sécurité de manière responsable et à long terme ne niera pas la nécessité d’un nouvel avion de combat. Un avion de combat moderne a une double importance pour l’artillerie; d’une part, l’artillerie a besoin d’une protection contre les attaques aériennes, et d’autre part, les systèmes d’artillerie et les avions de chasse se complètent dans la lutte contre les buts au sol.

L’artillerie est une arme fournissant un effort central au niveau tactique. Elle peut réduire massivement la puissance de combat d’un adversaire, restreindre sa liberté d’action et soutenir le combat de ses propres éléments de combat. Elle forme avec les formations de chars le noyau des troupes mécanisées qui permettent la décision dans les opérations au sol. Cependant, afin qu’elle puisse déployer sa force, le soutien des Forces aériennes ainsi que la coopération avec celle-ci sont nécessaires.

F-5E Tiger II: Acheté vers la fin des années 70 pour la protection de l’espace. Ne remplit plus les exigences actuelles

Importance 1 : La protection de l’air est nécessaire à la mobilité

Les formations mécanisées se caractérisent non seulement par leur puissance de feu et leur haute protection, mais aussi par leur mobilité. Ces capacités permettent des déplacements rapides et la création d’efforts principaux. La protection des véhicules blindés est principalement efficace contre le feu au sol, direct et indirect. Afin de pouvoir combattre les éléments terrestres adverses de manière indépendante, les véhicules sont en outre équipés d’armements défensifs. Dans l’artillerie, c’est principalement la mitrailleuse 64 de 12,7 mm. Bien que la Mg 64 puisse également être utilisée contre des buts aériens, cela n’est toutefois possible qu’à une distance de 1 500 m. De plus, en raison de la vitesse des buts aériens, il n’y a qu’une fenêtre de tir de quelques secondes. (1)

Il est réaliste de penser que les éléments adverses aériens ne peuvent pas être combattus de manière indépendante. Les troupes mécanisées sont tributaires de l’armée de l’air. Les moyens de défense aérienne font bien évidemment partie du système aux côtés des avions de combat. Sans un toit de protection dans la troisième dimension, toutes les troupes terrestres perdent leur liberté de manœuvre. Les éléments mobiles tels que les chars et l’artillerie en particulier ne peuvent que difficilement être déployés dans une telle situation. Ils devraient constamment s’attendre à être détruits par des attaques aériennes. (2)

Aussi puissantes que soient les unités mécanisées, leur capacité d’engagement est déterminée par la situation aérienne dans laquelle elles doivent combattre. Afin qu’ils puissent être déployés, il faut au moins une situation aérienne avantageuse. C’est le plus faible degré de contrôle de l’espace aérien et une condition préalable à la bonne exécution des propres opérations au sol. Les Forces aériennes doivent donc pouvoir empêcher les forces aériennes adverses d’utiliser efficacement leurs armes contre nos forces terrestres. (4)

La version suisse n’est pas adaptée au combat terrestre et arrive bientôt à la fin de sa durée de vie.

Importance 2 : Joint Fires – action coordonnée contre des buts au sol

Les avions de combat ont la capacité d’entrer rapidement et en profondeur dans l’espace adverse. Ils peuvent combattre des buts en profondeur, telles que des installations de commandement et de contrôle, des infrastructures de communication et de transport, des systèmes militaires clés ou des rassemblements de troupes et de véhicules. Lors des attaques aériennes, on utilise des munitions non guidées et (de plus en plus couramment de nos jours) des munitions guidées. Cela peut causer des dommages dévastateurs. La portée peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres. L’effet des armes à lui seul peut être utilisé comme moyen de pression.

Lors de combats au sol, c’est-à-dire lors d’attaques aériennes sur des cibles au sol, une distinction fondamentale est faite entre deux procédés d’engagement : Tout d’abord, l’interdiction aérienne (AI). Elle comprend le combat des troupes terrestres adverses ou des infrastructures qu’elles utilisent. L’interdiction aérienne a lieu avant que les troupes au sol ne mènent les actions de combat. La mobilité de l’adversaire en est limitée et sa force de combat est déjà affaiblie avant qu’elle n’engage le combat. Le deuxième procédé est l’appui aérien rapproché (Close Air support, CAS). Par ce procédé, les propres unités de combat sont directement soutenues sur le terrain, tant dans les actions offensives que défensives. Lorsque les Forces aériennes et l’artillerie coordonnent appui-feu, on parle de « Joint Fires » (feux combinés des Forces terrestres et des Forces aériennes).

En principe, les frappes aériennes peuvent combattre des buts similaires à ceux de l’artillerie. Les avions de combat ont cependant un champ d’action plus large qui permet de de combattre des buts renforcés (par exemple des bunkers) ou des infrastructures telles que des ponts pour lesquels la puissance de combat de l’artillerie n’est pas suffisante.

Contrairement à l’artillerie, les capteurs et l’armement sont combinés sur une même plate-forme. Les buts peuvent être à la fois de reconnaissance et de combat. Cependant, les avions de chasse ne sont disponibles qu’en petit nombre et dépendent fortement des conditions météorologiques. Les attaques aériennes sont donc principalement menées contre des cibles clés qui sont hors de portée de l’artillerie.

L’artillerie à tubes utilisée en Suisse, avec les moyens des Forces aériennes, est la seule arme de combat à distance disponible. Les avions de combat et les systèmes d’artillerie se complètent dans la lutte contre les buts au sol. Le type d’arme utilisé dépend de la localisation du but, de la priorité de combat et des aspects temporels (disponibilité des capteurs et des armes). (4)

Obusier blindé M 109: mobile et a une grande puissance de feu, mais a une portée limitée.

Sources

1) Règlement 54.136, Mitrailleuse 12,7 mm 64 2) Règlement 56.090, Conduite et engagement des Forces aériennes 3) Règlement 50.041, Terminologie des règlements de conduite de l’armée 17 4) DDPS (éd.). (2017). Avenir de la défense aérienne

Le type de munition engagée est décisif pour l’efficacité au but

L’engagement du feu de l’artillerie sur des buts de grande surface avec de la munition classique est désuet. Le combat de cibles individuelles en zone urbaine par des types de munitions de haute précision prend de plus en plus d’importance. A cela s’ajoute le fait qu’une artillerie moderne se doit d’atteindre une distance d’efficacité de plus de 100 km.

La munition d’artillerie de l’obusier blindé M-109 se compose de quatre éléments : le primer, la charge propulsive, la fusée et l’obus. Le primer donne la flamme initiale pour l’allumage de la charge, laquelle, par le volume de gaz dégagé, va propulser l’obus. Selon la quantité de poudre utilisée, la vitesse initiale permettra d’atteindre une distance différente. La fusée, se déclinant en différents types, quant à elle permet la détonation de l’obus: la fusée retard qui permet la détonation de la munition après un temps défini suivant l’impact. La fusée à temps permettant l’explosion de l’obus après une certaine durée de vol de telle manière que celui-ci détonne idéalement à quelques mètres en dessus du sol. La fusée de proximité, équipée d’un radar, permet une altitude d’activation identique pour les munitions tirées. Enfin, toutes les fusées peuvent être engagées aussi comme fusée instantanée, c’est-à-dire que l’explosion aura lieu à l’impact.

Obus de 15.5-cm avec statoréacteur de Nammo pour une portée jusqu’à 100 km

L’efficacité sera déterminée par le type d’obus. L’Armée suisse dispose, en plus des obus d’exercice et d’illumination, de deux types de munition de 15,5 cm. L’obus d’acier (à l’étranger : obus HE (hautement explosif)) peut être utilisé pour combattre tous types de buts. Cette munition est réellement efficace contre des objectifs « mous », c’est-à-dire non-blindé. Pour des buts semi-blindés, on notera une efficacité indirecte (endommagement des antennes, de l’optronique, etc.). En ce qui concerne les objectifs blindés, nous disposons plus que SMArt 155 (Suchzündermunition für die Artillerie). Cet obus se compose de deux sous-munitions qui après un certain temps de vol sont éjectées et terminent leur course à l’aide d’un parachute au-dessus de la cible. Des senseurs intégrés scannent la zone et combattent le but blindé à l’aide d’une charge creuse. Les obus cargos, acquis entre 1988 et 1999 ont été interdits avec de la ratification du traité sur les munitions à sous-munitions, ceci en raison du haut taux de « ratés » de ce type de munition. La Suisse a, fin 2018, terminé l’élimination de ses stocks. (1)

Ce qui précède limite évidemment les capacités de l’artillerie. En plus d’une réduction de la portée à 20 km, les obus d’acier conventionnels ont une efficacité insuffisante sur les buts blindés. De plus, les munitions SMArt sont en nombre très limité et sont d’ancienne génération en ce qui concerne les capteurs. Ceux-ci ont été conçus pour une menace militaire symétrique pour le combat de véhicules blindés en terrain ouvert. (2)

Les exigences d’une munition moderne

Le message 2019 du Conseil fédéral sur l’Armée mentionne un crédit de projet, essais et planification d’acquisition pour un nouveau système d’artillerie 15,5cm. Trois exigences sont en point de mire : la mobilité, la précision et la portée.3 Alors que la mobilité ne peut être assurée que par la plateforme de l’arme, la précision et la portée dépendent également des munitions utilisées.

Méthodes d’accroissement de la précision

Pour une précision plus élevée, trois possibilités s’offrent à nous:

  • Munition à guidage final: Ce procédé permet de transformer, à couts réduits, la munition conventionnelle en munition de précision. A l’aide d’un dispositif ajouté sur l’obus, ce dernier est guidé dans la phase descendante de la trajectoire sur les coordonnées introduites au préalable. Il faut compter environ CHF 10’000.- par unité.
  • Munition à guidage GPS: Les coordonnées sont programmées avant le départ du coup. Lorsque l’altitude maximale de la trajectoire est atteinte, des ailerons sont libérés et le système guide, via le GPS, la munition sur son but. Pour les grandes distances, l’obus termine sa course à la verticale et ainsi se prête parfaitement pour les engagements en zone urbaine. A l’unité ces munitions coutent entre CHF 80’00.- et CHF 100‘000.-
  • Eclairage laser : Ce concept existe depuis les années 80. Un senseur guide l’obus sur la cible éclairée, jusqu’à l’impact, par un laser. (2)

En tous les cas, une augmentation de la précision nécessite également une identification et une observation précise du but,4 ainsi que de meilleures données météo également dans la zone du but.

Perforation d’un mur avec détonation successive d’un obus explosif 15.5 cm DM121 de Rheinmetall

Pistes pour un accroissement de la portée

Une des solutions pour augmenter la portée se situe dans l’amélioration des propriétés aérodynamique de la munition, autrement dit de réduire le vortex à l’arrière de l’obus via de petites fusées (Base-Bleed-Munition). Avec cette technique la portée est améliorée de quelques kilomètres. La révolution se profile dans l’utilisation d’un statoréacteur (« ramjet » en anglais). On peut comparer cette méthode avec une turbine qui comprimerait l’air au travers de l’obus et ainsi accroîtrait la portée jusqu’à 100 km.

L’utilisation d’une plus grande charge de poudre et d’une brisance plus élevée permet aussi d’augmenter significativement la portée. Cela implique une adaptation en profondeur de la pièce d’artillerie (tube plus long, chambre de charge plus grande, renforcement de l’obusier blindé). (2)

La nécessité de renouvellement

Au niveau de la munition d’artillerie, la Suisse a actuellement de graves et grosses lacunes. A cela s’ajoute des stocks vieillissants qui arriveront en fin de vie entre 2020 et 2030.5 Pour la SSOART il est capital, dans le cadre de l’acquisition d’un nouveau système d’arme artillerie, que la focalisation ne soit pas portée que sur la plateforme, mais également sur la munition. Les coûts élevés d’acquisition et de maintenance, en particulier de la munition de précision, ne permettront qu’un renouvellement en petites quantités. Les goulets d’étranglement devront être pris en compte à l’acquisition étant entendu qu’ils seront au préalable précisément calculés.

Sources

1) VBS (Hg.). (2019). Entsorgung von Streumunition der Schweizer Armee abgeschlossen

2) Bundesrat. (2016). Zukunft der Artillerie, Bericht in Erfüllung des Postulates 11.3752

3) Bundesrat. (2019). Armeebotschaft 2019

4) Gafner, B. (2019). Interview mit Div R. Wellinger. Tagesanzeiger

5) VBS (Hg.). (2019). Zukunft der Bodentruppen

La SSOART s’engage depuis 35 ans en faveur d’une artillerie moderne

L’artillerie est l’arme d’effort principal à l’échelon tactique. Elle peut réduire considérablement la puissance de combat d’un adversaire, limiter sa liberté d’action et appuyer le combat des propres éléments de combat. Depuis 35 ans, la SSOART défend l’importance du tir indirect et poursuit ses efforts dans ce sens.

La «Société suisse des officiers des troupes de forteresse» (SSOF) a été fondée le 2 mars 1984 à Lucerne. Son but était de plaider devant les autorités compétentes et dans le public en faveur des intérêts des troupes de forteresse créées peu auparavant. Le sentiment était qu’en dépit de la formation de cette nouvelle Arme, l’armement, l’équipement et l’instruction étaient négligés. Rapidement, il est apparu que l’artillerie mobile était confrontée aux mêmes défis. Avec clairvoyance, il a été décidé de s’engager à l’avenir en faveur d’une artillerie commune (mob/fort). C’est ainsi qu’en 1988 la société est devenue la «Société suisse des officiers de l’artillerie et des troupes de forteresse» (SSOAF) et ses statuts ont été modifiés dans ce sens. Plus tard, elle a intégré en son sein la Société suisse des officiers de transmission de l’artillerie. La réforme Armée XXI allait sonner le glas définitif des troupes de forteresse en tant qu’Arme autonome. Cette restructuration donnait raison aux artilleurs clairvoyants de 1987, car désormais il n’existait plus qu’une seule et unique artillerie. Celle-ci réunit toutes les armes à trajectoire courbe d’un calibre égal ou supérieur à 12 cm. La conséquence a été le changement de dénomination de la SSOAF, qui est devenue la «Société suisse des officiers d’artillerie» (SSOART). La SSOART a mis ainsi en évidence qu’elle représente les intérêts de tous les artilleurs de l’armée.1

L’artillerie montre la voie: anciens présidents de la SSOART

Importance actuelle du tir indirect

Le tir indirect est engagé dans pratiquement tous les conflits militaires. Rien ne laisse à penser que les choses pourraient changer dans un futur proche. L’exemple le plus récent du potentiel de l’artillerie est la destruction en quelques minutes de deux bataillons ukrainiens de la 24e brigade mécanisée au cours de la guerre d’Ukraine.2 En Europe, aucune armée ne renonce au tir indirect. Même si de nombreux pays ont réduit le nombre de leurs pièces d’artillerie, la capacité d’appuyer les troupes de combat avec le tir d’artillerie à différentes distances est développée pratiquement partout. L’objectif est d’obtenir un effet identique ou renforcé avec beaucoup moins de moyens.

Situation de l’artillerie en Suisse

Notre artillerie actuelle regroupe tous les éléments requis pour la planification, la conduite et la direction du feu indirect. Le système global est entièrement disponible dans ce sens. Cependant, il ne répond pas à toutes les exigences d’engagement. Il existe notamment des lacunes dans quatre domaines:

1. Portée: Suite au retrait des armes à sous-munitions, la portée est passée de 27 à 20 km environ. En revanche, avec des systèmes d’artillerie à longue portée (plus de 50 km), il est possible d’atteindre presque toutes les régions suisses depuis des zones frontalières à l’étranger.

2. Précision: Les deux types de munitions intelligentes disponibles dans l’armée suisse (munitions à effet dirigé de 15,5cm SMArt 155 et munition STRIX de 12 cm) sont de l’ancienne génération. Elles sont conçues en premier lieu pour l’attaque de véhicules blindés en terrain ouvert.

3. Mobilité: Un grand nombre des véhicules de conduite et de logistique sont des véhicules chenillés développés à partir du char de grenadiers M-113 vieux de plus de 50 ans qui occasionnent des coûts d’exploitation élevés.

4. Procédure d’engagement: Les processus actuels sont axés en premier lieu sur une confrontation avec un adversaire classique. Ainsi, avec le système FARGO (calcul de la trajectoire), il n’est pas possible de tirer simultanément sur différents buts avec des pièces individuelles.

Ces lacunes sont à mettre en regard avec deux améliorations en cours:

1. Mörser 16: Il permet de combler la lacune du tir indirect à courte distance (jusqu’à 10 km). Il donne par ailleurs la possibilité aux formations d’engagement d’attaquer des cibles individuelles en zone urbaine.

2. Système d’exploration tactique (TASYS): Les moyens d’exploration et d’observation sont organisés de façon à permettre non seulement aux commandants de tir mais aussi aux explorateurs de diriger des tirs d’appui. Cela entraîne une multiplication de ces capteurs si importants. (3)

Modernisation nécessaire de l’artillerie

Différents composants du système complet d’artillerie atteindront les limites de leur durée d’utilisation technique à partir de 2025. Cela concerne en particulier l’obusier blindé M-109, la plateforme d’armes pour l’appui de feu indirect à moyenne distance (10-50km). Il existe un grand nombre d’options pour son remplacement, depuis son remplacement par une pièce moderne, dans une quantité réduite ou identique, jusqu’à l’abandon de l’artillerie moyenne portée en passant par une amélioration de la valeur de combat et l’exploitation de deux flottes.

La SSOART toujours à la pointe: visite du 12-cm Mörser 16

Cependant, avant de renouveler des composants individuels, les exigences de l’artillerie du futur doivent être clairement définies. On ne pourra pas à cet égard s’abstenir pour des raisons de coûts de prendre en considération les lacunes de capacité. À cela s’ajoutent deux facteurs aggravants importants à prendre en compte:

1. Le mitage et l’urbanisation croissants rendent de plus en plus improbable l’engagement de véhicules blindés en terrain ouvert. Les cibles individuelles en zone urbaine sont de plus en plus importantes, ce qui oblige à éviter les dommages collatéraux contre la population civile et les infrastructures.

2. Une menace hybride contraint l’armée à maîtriser toute une gamme de défis militaires. Les capacités nécessaires à l’artillerie pour s’imposer face à des acteurs étatiques et non étatiques doivent aussi être développées. (4)

La SSOART considère qu’il est important de définir rapidement le catalogue d’exigences d’une artillerie moderne de façon que les principaux composants du système d’arme «Artillerie» puissent être remplacés à partir de 2025.

Sources

1) Kevin Guerrero et Peter E. Leuthold, 20-Jahr-Jubiläum: Von der SGOF zur SOGART (De la SSOF à la SSOART en passant par la SSOAF – Les 20 ans de notre Société), SOGAFLASH 2005, p. 39-40

2) Frank Leidenberger (Hg.), thèse I, Wie kämpfen Landstreitkräfte künftig? (Comment combattre les forces terrestres de l’avenir?), p. 6

3) Secrétariat général du DDPS (Hg.) Rapport sur les projets du DDPS – Appréciation des projets au  31.12.2017, p. 44

4) L’avenir de l’artillerie, rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 11.3752, 2016

Joint Fires – Les Forces aériennes et l’artillerie ensemble à l’engagement

Col Mathias Vetsch & col Fabian Ochsner
Anciens présidents de la Société suisse des officiers d’artillerie (SSOART) et de la Société des officiers d’aviation (AVIA)

Dans les armées modernes, l’appui de feu est de plus en plus mis en œuvre au niveau interarmées («Joint»). Les capacités air-sol des forces aériennes l’air et les tirs indirects des forces terrestres se complètent. La disponibilité du feu pour l’appui direct et indirect aux troupes de combat est considérablement augmentée. Cela nécessite une coopération étroite à tous les niveaux, depuis le commandement des forces interarmées et le centre de conduite des feux de la Grande Unité jusqu’à la direction des feux à travers les Joint Terminal Attack Controller (JTAC) et les commandants de tir.

Sur le champ de bataille moderne, la densité des troupes a régulièrement diminué. La précision, la mobilité, la supériorité de l’information et du tir sont déterminantes pour le succès tactique. Le feu reste le moyen disponible le plus rapidement pour combattre un ennemi sur de longues. Alors qu’une unité mécanisée ou aéroportée prend des heures pour couvrir 30 à 50 km, seul le feu peut avoir un effet à ces distances en quelques minutes.

Moyen d’action

Selon l’emplacement et la nature de la cible, différents moyens d’action peuvent être utilisés:

  • Combat Air-Sol (Close Air Support – CAS) ;
  • Hélicoptère de combat (Close Combat Attack – CCA) ;
  • Artillerie classique (tubulaire) ou lance-fusée ;
  • Lance-mines / mortier.

Chacun de ces moyens, avec les types de munitions associés, a ses avantages et ses inconvénients par rapport aux critères suivants:

  • Disponibilité ;
  • Souplesse ;
  • Effet au but ;
  • Temps requis pour la mise en action ;
  • Distance d’engagement ;
  • Conditions météorologiques et de visibilité ;
  • Précision ;
  • Dommages collatéraux ;
  • Risques pour le propre porteur d’armes.

Par exemple, un lance-minces au niveau d’une compagnie est prêt à agir très rapidement, mais ne peut agir que sur de courtes distances. Les forces aériennes peuvent opérer sur de longues distances, mais ont moins de capacité à durer. Bien que les deux types de munitions avec support GPS soient d’une précision comparable, une bombe aérienne GBU-38 de 500 livres cause des dommages collatéraux plus importants qu’un projectile de 15,5 cm du type EXCALIBUR. Évaluer ces critères et comparer les avantages et les inconvénients est l’une des principales tâches dans la conduite interarmées des feux. Si les avantages spécifiques des moyens d’action sont utilisés, ceux-ci peuvent entraîner une combinaison à la fois d’une plus grande efficacité et d’une plus grande efficience.

Coordination de l’espace aérien/Air Space Managment

Il s’agit simultanément de s’assurer que les utilisateurs individuels de l’espace aérien ne se mettent pas en danger ou ne se bloquent pas mutuellement. Le graphique ci-dessous montre les dimensions dans lesquelles se trouvent les trajectoires des systèmes d’armes à tir indirect. Un chevauchement avec les hauteurs opérationnelles typiques des forces aériennes est évident. Une répartition claire, ainsi qu’une attribution spatiale et temporelle de l’espace aérien pour les utilisateurs individuels des forces terrestres et des forces aériennes est indispensable pour mener la conduite des feux sans mettre ses propres ressources en danger.

Eléments « Joint fires »

Des éléments combinant des systèmes d’armes à tir indirect et des forces aériennes sont utilisés à tous les échelons. Selon les pays, ces éléments sont nommés ou composés différemment :

Joint Fires Support Team

Au niveau de base, vous trouverez le Joint Fires Support Team. L’équipe est composée des observateurs des systèmes d’armes à tir indirect (artillerie et lance-mines) et des Joint Terminal Attack Controller (JTAC), ainsi que de leurs assistants (opérateurs système, opérateurs radio, conducteurs). L’équipe dirige le feu sur place et oriente les pilotes de chasse.

Joint Fires Support Coordination Team (niveau bataillon)

Le Joint Fires Support Coordination Team se trouve au niveau bataillonnaire dans le DBC 3. Il est composé de l’officier d’appui-feu et de son équivalent au sein des forces aériennes. Ils conseillent le commandant de bataillon sur la planification des feux et mènent conjointement la direction des feux au niveau tactique (appui immédiat par le feu).

Joint Fires Support Coordination Group (niveau Grande Unité)

Au niveau des Grandes Unités, le centre de conduite du feu du chef art travaille avec le chef aviation et ses officiers spécialisés sur la planification des tirs. Ils délèguent les moyens au niveau des bataillons pour l’appui immédiat par le feu et mènent eux-mêmes le combat d’ensemble par le feu au niveau de la Grande Unité.

Joint Coordination Board (JCB), Joint Targeting Working Group (JTWG) et Cellule de Targeting (niveau Joint Forces Command, JFC)

Le JCB, parfois appelé le Joint Targeting Coordination Board (JTCB), collecte les définitions de cibles du Joint Forces Command et des forces armées et produit une liste de cibles pour lesquelles la cellule de Targeting fournit ensuite les informations nécessaires au combat. Cette liste de cibles contient également des cibles interdites (no strike list) et des cibles restreintes (restricted target list). Au sein du JTWG, les cibles à combattre sont classées par ordre de priorité et attribuées aux forces armées concernées pour les combattre.

Joint Fires en Suisse?

En Suisse, les considérations sur le Joint Fires n’ont jusqu’à présent trouvé place que dans des études doctrinales préliminaires. Les règlements techniques et de conduite applicables aux forces aériennes et aux forces terrestres n’ont pas de missions et de procédures correspondantes. Même les termes «tirs communs» ou «appui de feu inter-armées» n’apparaissent nulle part. Il y a une raison à cela: depuis que l’avion de combat Hunter Mk58 a été mis hors service en 1994, l’armée suisse n’a plus accordé une attention particulière au combat Air-Sol. Les forces aériennes ne s’occupent de cela que doctrinalement et entraînent exclusivement l’utilisation formelle de canons sur des cibles terrestres. Dans l’Armée 61, la coordination de l’espace aérien était étonnamment bien définie, compte tenu des possibilités de l’époque et de la menace supposée. L’emplacement du chef aviation des Grande Unités a été rapidement déterminé dans le centre de conduite des feux de l’artillerie (CCF) et l’engagement des Joint Terminal Attack Controller (JTAC)a été régulièrement entrainé. Il est prévu que l’achat d’un nouvel avion de combat permette de restaurer la capacité de combattre des cibles au sol. Cela signifie que la question du Joint Fire peut également être traitée avec systématique en Suisse. Les procédés correspondants sont disponibles chez nos voisins et ont été testés dans les conflits actuels. Les études préliminaires suisses favoriseront également l’introduction de telles procédures. L’adaptation et l’intégration des systèmes correspondants et la formation des officiers et spécialistes impliqués dans le processus deviendront un peu plus complexes. Mais l’expérience des forces armées amies pourra également être mise à profit ici.

Conclusion

Encore une fois, on montre ici à quel point il est difficile de retrouver des compétences abandonnées. L’achat de matériel et de munitions n’est qu’un problème secondaire. La perte de savoir-faire et de personnel qualifié, dont le développement prend de nombreuses années est beaucoup plus grave. Dans le domaine de l’appui de feu, faire cavalier seul ne sera plus efficace à l’avenir, ni par les forces terrestres, ni par les forces aériennes. En Suisse aussi, le thème du «Joint Fires»  sera clé à l’avenir. Il ne s’agit pas de «l’un ou l’autre», mais de «l’un avec l’autre» et de l’exploitation des avantages respectifs de tous les systèmes existants.